Manille et Tunis présentent des réalités sociales et culturelles contrastées. Pourtant, au cœur de ces deux villes, un même engagement se déploie : celui des partenaires Fidesco qui veillent sur les plus petits, avec l’aide des volontaires envoyés sur place chaque année. Le Père Matthieu et sœur Florence ont pris le temps de répondre à nos questions, au milieu d’un quotidien bien rempli parmi les enfants.
Pourriez-vous vous présenter et nous dire en quelques mots en quoi consiste votre mission ?
PM : Je suis le Père Matthieu Dauchez, prêtre français incardiné dans le diocèse de Manille aux Philippines, et directeur de l’association ANAK-Tnk, partenaire de Fidesco depuis 25 ans. L’œuvre vient en aide aux enfants et aux familles les plus défavorisés de la capitale Philippine.
SF : Je suis Florence Monkoré Apentue, sœur Salésienne de Don Bosco et directrice du jardin d’enfants « Nazareth », à Tunis, depuis 2023. L’éducation reste le lieu par excellence où le charisme de ma congrégation se déploie ; lieu par excellence où je rencontre Jésus et où j’essaie de le donner aux enfants et aux jeunes à travers chacune de mes approches éducatives.
Quels sont les défis propres à l’enfance dans votre environnement ?
PM : L’association accueille les enfants des rues de la ville, par conséquent des enfants laissés-pour-compte. Mais le défi est bien au-delà d’une simple question matérielle puisque ces enfants apprennent bien vite à survivre par eux-mêmes dans la jungle urbaine. Le plus grand défi se situe au fond de leurs cœurs blessés, des cœurs à qui le monde extérieur leur fait croire qu’ils ne sont pas dignes d’aimer et d’être aimés.
SF : Ils sont nombreux ! Pour n’en citer que quelques-uns : l’impact de la technologie numérique sur l’intellect des enfants et l’exposition précoce de ces derniers aux écrans et aux contenus inappropriés qui engendrent chez eux, entre autres, des troubles de comportement ; le manque d’activités alternatives naturelles ; les divorces et les violences au sein des familles ; la parentalité qui fait face à de fortes pressions sociales qui l’affaiblissent et la rendent démissionnaire …
Selon vous, quelles sont les aspirations, les rêves ou les besoins universels de tous les enfants, quel que soit leur pays ou leur milieu social ?
PM : Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus disait : « Ce ne sont pas les richesses et la gloire que réclame le petit enfant, ce qu’il désire, c’est l’amour ». Elle répond simplement et puissamment à votre question et nous sommes les témoins tous les jours : le cœur d’un enfant a soif, c’est tout.
SF : En premier lieux, l’amour et la sécurité : tous les enfants ont besoin d’affection, de soutien, d’un environnement stable où ils se sentent protégés. Mais aussi, d’éducation et d’apprentissage, de jeux et de créativité !
Au cœur de votre mission, en quoi les enfants sont-ils des signes d’espérance pour notre monde ?
PM : Les enfants des rues de Manille ne sont pas simplement des signes d’espérance, ils en sont les hérauts, précisément à cause de cette soif irrépressible d’amour. L’espérance n’est pas l’espoir d’un avenir meilleur, elle est la proclamation d’une victoire de l’amour. Ces enfants nous le rappellent sans cesse : Dieu nous a créés pour aimer et être aimé. Rien, ni les épreuves, ni la misère, ni le péché ne pourront étriller cette vocation universelle de l’homme.
SF : Pour moi, l’espérance est une certitude forte que l’on porte au fond de nous. (…). Elle est porteuse de l’avenir, elle est prophétique. Sans elle, il n’y a aucun changement. Elle donne le courage et la force d’avancer. Si les enfants sont le reflet ou les signes de l’espérance dans le monde, ils en sont en même temps la source. Les enfants incarnent l’avenir. Leur être en devenir est la preuve que la vie est appelée à continuer.
(Ouverture à l’universel) – A votre avis, en quoi l’enfance peut-elle être une source d’espérance pour les adultes que nous sommes ?
PM : La soif est la clé… les enfants nous aident à plonger dans l’espérance en ravivant notre soif. Ils nous recentrent inlassablement sur l’essentiel.
SF : Les enfants inspirent les adultes à donner le meilleur d’eux-mêmes pour un futur mérité, préparé et investi. Les enfants nous obligent presque à devenir responsables, à nous investir pour un lendemain meilleur. De plus, les enfants sont très curieux. Cette caractéristique qui leur est propre reste un moteur de progrès. Enfin, les enfants n’ont pas de barrière comme les adultes. Le bien que rêvent les adultes et qu’ils ne parviennent pas à réaliser, les enfants le font naturellement au nom de leur innocence et de leur pureté.
Auriez-vous une anecdote marquante à nous partager pour illustrer combien l’enfance est un lieu d’espérance ?
PM : Keith, jeune avec un léger handicap mental, recueilli dans un des foyers de la fondation, me tire énergiquement par le bras et me montre le portrait du Sacré Coeur affiché dans son foyer. Il me dit : Regarde la main tendue de Jésus… Il mendie notre amour ! Il résume admirablement, en une phrase, l’exigence de l’espérance.
SF : A mon arrivée à Tunis, j’allais prendre des cours de langue arabe au mont Fleuri, un quartier populaire au centre de Tunis. J’y allais le cœur presque gros car, « on ne sait jamais ! ». En effet, je suis de race noire, et je craignais le racisme du peuple tunisien. Je ne cessais de réciter mon chapelet. Et croyez- moi, en allant tout comme en retournant, les enfants venaient m’embrasser, m’accueillir, me remettre des petits bouquets de fleurs ou des petits gâteaux tunisiens. Grâce à ces enfants, je suis arrivée à entrer en contact avec les parents, les familles. Et jusqu’alors, les liens d’amitié sont restés. C’est forte de cette expérience, qui m’a donné de croire vraiment en l’enfant, que je suis ensuite allée au nord de la Tunisie pour commencer ma vie missionnaire, dans une école salésienne.
Qu’est-ce que les enfants vous ont appris au sujet de la vie, de l’espérance ou de l’avenir ?
PM : La sainte de Calcutta disait à ses religieuses que leur mission est d’étancher la soif du Christ. Les enfants nous rappellent inlassablement que toute vocation chrétienne se situe dans ces quelques mots prononcés sur la Croix. La soif du Christ est celle des enfants, des pauvres, des petits. Saurons-nous le voir ?
SF : Sans effort, le contact avec un enfant me rappelle ce que je suis et ce que je dois être pour atteindre mes objectifs en matière d’éducation. L’enfant me rappelle mon devoir et ma responsabilité historique : son devenir, le devenir du monde dépend de mes investissements. L’enfant est au-dessus des barrières humaines : religion, cultures, traditions. C’est comme une réalité eschatologique, où il n’y a ni juif, ni grec, ni pauvre, ni riche. L’enfant m’apprend que le vivre ensemble est possible lorsque chacun est respecté et peut apporter ce qui lui est propre en vue de la construction du même édifice humain et divin. Par l’enfant, j’apprends qu’un avenir est possible.
Quels sont les petits gestes, les attentions concrètes qui, selon vous, permettent à un enfant de croire en lui et en l’avenir ?
PM : Dans une réflexion récente sur l’espérance, source de toute résilience, j’ai voulu mettre en avant le « devoir de présence ». Un enfant ne quitte pas les trottoirs de Manille pour bien manger ni pour un avenir prometteur. Il quitte l’enfer de la rue quand il sent qu’il existe aux yeux de quelqu’un. Rappelons-nous qu’étymologiquement le mot consolation signifie être avec dans la solitude… tout un programme !
SF : Avant tout, il est important qu’il se sente aimé et respecté pour ce qu’il est. Concernant les attentions concrètes : lui donner de l’autonomie sans tarder, et la possibilité de faire des choix, afin qu’il s’implique dans son existence. Lorsqu’il fournit des efforts et fait des progrès, l’encourager afin qu’il puisse continuer à aller de l’avant. Enfin, prendre le temps de parler avec lui, et bien sûr de l’écouter.
Si vous aviez un message à transmettre à ceux qui lisent cet interview, quel serait-il ?
PM : Soyez des passionnés du prochain !
SF : En Tunisie, j’ai vu des enfants quitter l’école faute de moyens financiers, ou encore des enfants de migrants ne pouvant pas fréquenter l’école. Pourquoi ? Puisque l’enfant est signe d’espérance, allons à la rencontre de tous les enfants, surtout les plus pauvres et les plus démunis, aussi bien matériellement que moralement. Donnons-leur la possibilité de s’envoler, de s’envoler plus loin et plus haut, vers les cimes du lendemain. D’origine pauvre et modeste, Saint Jean Bosco, ce grand Saint et Educateur a transformé les vies de beaucoup d’enfants et de jeunes car, sur son chemin, il a pu rencontrer des personnes de grands cœurs qui l’ont aimé, aidé et soutenu.