Jouan : une victoire sur la vie
Par Stéphane et Ariane, gestionnaires de projets, Savlador, Brésil.
A Salvador de Bahia, la fondation Joao créée par la paroisse des Alagados, vient en aide aux gens du quartier.
Ariane coordonne le projet Procapaz, qui forme les femmes à la couture, à l’informatique, à la cuisine, et au métier d’auxiliaire de vie.
Alors que le Brésil est frappé de plein fouet par la crise du Covid-19, Ariane découvre Domingas…

Elève du cours d’informatique, Domingas fait partie de celles qui avaient les larmes aux yeux le 17 mars, lorsque j’ai dû annoncer que les cours de Procapaz étaient interrompus jusqu’à nouvel ordre. La cinquantaine, la silhouette ronde et la démarche tranquille, Domingas a tout d’une bahianaise : le regard doux et le sourire facile, la chevelure dissimulée sous le traditionnel foulard coloré.
Je l’avais questionnée sur la glacière que je la voyais porter sous le bras quotidiennement et elle m’avait répondue qu’elle était vendeuse ambulante de boissons fraîches sur le front de mer dans le quartier voisin.
Les premiers jours de cours, à plusieurs reprises, son mari était venu à Procapaz pendant que Domingas était en classe. J’étais surprise qu’il se soucie autant des cours d’informatique de sa femme, et elle m’avait rapidement expliqué que son mari venait vérifier où elle se trouvait, et qu’au Brésil c’est comme ça : le mari doit tout savoir sur ce que fait sa femme. Je devinais que le quotidien de Domingas n’était pas simple.
Quand je l’ai vue revenir à la porte de Procapaz quelques jours après la fermeture, j’ai d’abord cru que mon portugais hésitant n’avait pas été limpide et qu’elle s’attendait à reprendre les cours.
En fait Domingas m’avait très bien comprise et revenait à Procapaz avec une idée précise : ouvrir un atelier de couture de masques anti-covid dans l’ancienne salle de cours de couture.

Une belle idée mais que la concrétisation semblait un peu compromise par le fait que cette même salle était sur le point de devenir une friperie et se trouvait envahie de cartons de vêtements, et que les machines étaient inaccessibles. Mais Domingas ne semblait pas se résigner, et revenait chaque jour, toujours chargée de sa glacière, pour voir si une autre option serait possible.
Encouragés par cet enthousiasme sans faille nous lui proposions finalement de s’installer dans une petite salle à l’étage, habituellement dédiée aux cours de catéchisme. Nous l’aidions à monter plusieurs machines, à installer les branchements, les ventilateurs, les tables. Au bout de trois semaines l’atelier semblait prêt à servir, je félicitais Domingas pour sa persévérance et elle me répondait :
- « Maintenant il faut que j’apprenne à coudre ! ».
- « Euh… tu ne sais pas coudre ? ».
- « Bah non, mais je vais apprendre ! ».
Ni une ni deux, Domingas sollicitait ses amies, ses cousines, ses sœurs, et réussissait à former un groupe d’apprenties couturières rapidement formées par une amie professionnelle. Aujourd’hui, ces dix femmes se relaient dans l’atelier du lundi au samedi, de 8h à 18h. Elles fabriquent plusieurs dizaines de masques par jour, elles discutent, rigolent, se retrouvent simplement en dehors des murs trop étroits de leurs maisons respectives, et se rendent utiles.
L’une d’elle, Vania me raconte avec émotions l’histoire de Jouan « qui avait tout pour être déjà mort aujourd’hui. » Il était dans le trafic, sa mère assassiné et son père inexistant. Petit à petit, nous l’avons aidé, suivi dans son parcours scolaire, et pendant sept ans nous l’avons soutenu en lui servant de référence. Il a 17 ans aujourd’hui. Alors le voir revenir au soutien scolaire pour aider à encadrer les plus jeunes, le voir grandir loin du trafic sans être marginalisé, c’est une victoire pour nous.