Roger, le voleur devenu jardinier
par Lucie, coach auprès de jeunes des bidonvilles, Manille, Philippines
A dix ans, Roger se retrouve à la rue, enlisé dans un cercle vicieux de violence et de délinquance.
Alors que tout semble perdu pour lui, il est pris en charge par l’association LP4Y, et par les volontaires Fidesco.
Roger entame alors un long combat, qui transformera sa vie.

Roger a 20 ans. Lorsqu’on le rencontre pour la première fois, il est difficile d’oublier ce visage, cette « gueule cassée » affichant un sourire et une joie de vivre perpétuelle.
Et pourtant l’histoire de son passé, elle, ne fait pas sourire.
Roger est né et a grandi à Tacloban, région dévastée par un typhon. Son père ayant perdu son emploi et ne pouvant plus subvenir au besoin de sa famille décide de l’envoyer chez sa sœur à Manille. Elle prendra en charge ses frais de scolarités et l’enverra à l’école là-bas.
A 8 ans, Roger se sépare donc de ses parents, frères et sœurs.
Cependant, c’est un enfant turbulent, et sa tante le corrige en le battant régulièrement à coup de bâtons d’où son visage tordu aujourd’hui… A 10 ans, il arrête l’école pour ne plus jamais retourner en classe, s’enfuit de chez sa tante et vit dans la rue.
C’est un enfant malin et sociable sous ses airs de gangster et il n’a pas de mal à se faire beaucoup d’ « amis » et à se trouver une place dans les gangs. Petit, sec, vif et discret, c’est un expert du vol à l’arrachée. Il vise les touristes prenant le bus ou le jeepney. A 11 ans, il commence à participer à des hold-up organisés, il monte dans la jeep, menace les passagers un pistolet à la main et récupère téléphones, bijoux et billets.

Un jour, un des hold-ups tourne mal,
Roger se retrouve les menottes au poignet.
Il a alors 18 ans et il sait que les prisons pour adultes aux Philippines sont infernales. Il ment au policier sur son âge et se retrouve dans un centre pour jeunes délinquants. Il y restera un an et quand il parle de cette partie de sa vie, il perd le sourire. « Nous étions entassés à 150 dans une cellule, nous mangions comme des animaux ». Une fondation qui vient en aide aux jeunes délinquants en centre de détention juvénile le fait sortir de prison et l’aide à se reconstruire, avant de nous demander de prendre le relais.
Les mois qui suivent mon premier entretien avec lui, je suis assaillie de doutes : « Pourra-t-on vraiment aider Roger ? Comment faire ? Il part de tellement loin.» Roger ne parle pas un mot d’anglais, assez peu tagalog. Il est écrasé par la timidité. Il est ailleurs, le regard souvent dans le vague. Ses bases scolaires sont tellement faibles qu’il n’arrive pas à suivre lors des trainings. Le seul moment où je le vois s’éclairer c’est quand il est sur le cours de basket avec les autres garçons. Il est alors métamorphosé, sûr de lui, fort et incroyablement doué.
Peu après son arrivée, il rejoint l’équipe du Green Garden et au fur et à mesure de son évolution chez LP4Y mes doutes s’évanouissent : Roger se découvre une véritable passion pour le jardinage.
Il fait un stage de 3 mois au département de l’agriculture des Philippines et en revient transformé. « Je vais devenir jardinier ». C’est un travail de longue haleine, oui il pourrait y arriver.
« Ma mission consiste à intégrer ces jeunes venus de la rue, mais je n’arrive pas à projeter Roger dans une entreprise quelle qu’elle soit :
trop cassé ? Trop marqué ? Retard scolaire trop important ? »
En novembre, coup de pouce divin ! Voilà que survient sur notre route une entreprise de paysagisme qui cherche à recruter des jeunes motivés pour devenir jardiniers !
Voilà comment notre Roger a signé son premier contrat de travail, pour 6 mois au salaire minimum, et il excelle : à l’heure, professionnel, jamais absent et super motivé. Et aux Philippines, le travail de jardinier paysagiste n’est pas à la portée de tous, cela signifie 8h sous un soleil de plomb, il faut être solide mentalement et physiquement.
Roger est si fier ! Voilà ce qu’il disait lors de notre dernière entrevue « Avant je ne me pensais pas assez fort pour sortir de la rue, aujourd’hui je sais que j’ai cette force en moi, je n’ai plus besoin de voler les autres, je gagne mon salaire à la sueur de mon front».