Une petite fille, des pinceaux et des couleurs…

Par Marie-Lys et Tanneguy, travailleurs sociaux, Curanilahue, Chili

Curanilahue, petite ville ouvrière au sud du Chili. Le foyer Manos Abiertas y accueille une vingtaine de jeunes filles retirées à leur famille par la justice. Marie-Lys et Tanneguy s’y rendent une fois par semaine pour proposer des activités, tisser patiemment des liens avec ces enfants blessées, et restaurer peu à peu la confiance.

Sylvianne et Stéphane, également volontaires au Chili, leur rendent visite.

Dans ses bagages, Sylvianne, artiste peintre, a apporté des pinceaux…

« Comment t’appelles-tu ?
– TAMARA ! crie cette petite en s’enfuyant et se cachant les yeux. 

« J’ai 4 ans, et ma maison c’est le foyer des filles ! déclare-t-elle en faisant exprès de parler au mur, le visage figé.

 Pendant l’été, ici, on s’ennuie. Les grandes sont sur leur portable toute la journée allongées sur les canapés. J’essaie de jouer avec l’une, puis avec l’autre, mais elles ne veulent pas se lever pour un cache-cache. Heureusement, la télévision est allumée et cela m’occupe un peu. Mais on n’a pas le droit de sortir, et deux mois à tourner en rond, cela fait beaucoup !

Un jour, des amis de tia Marie-Lys (tante Marie-Lys), une dame française et un monsieur français sont venus pour animer une semaine de peinture. Ils ne savaient pas bien parler espagnol (comme tia Marie-Lys quand elle est arrivée) mais on a pu s’apprivoiser. Au début, je me suis cachée à l’autre bout de la petite cour, en silence pour qu’ils ne me voient pas.

Comme tous les adultes, ils ont essayé de m’approcher et je me suis enfuie.

A mon poste pendant des heures, je les ai observés dessiner
et remplir de couleurs les murs tout décrépis du foyer.

Ma confiance, elle se mérite !

Il faut que je sois sûre d’eux. J’ai été trop blessée. Les adultes sont imprévisibles : ils disent parfois qu’ils m’aiment, et le lendemain ne s’occupent plus de moi ! Ils sont dangereux aussi, on peut recevoir des coups et avoir très mal. Il ne faut surtout pas que je montre que je suis fascinée par leur travail. Dévoiler que je m’intéresse à eux, c’est me montrer vulnérable.

Jour après jour, j’ai vu le grand mur se transformer en petites têtes, en mains jointes, en jambes, en câlins, … et devant mes yeux écarquillés, se sont dressés, grandeur nature, les compagnons de jeux dont j’ai tant rêvé !

En 4 jours, les deux peintres étrangers ne se sont jamais énervés. Et la dame, même si elle parle de manière bizarre, sourit tout le temps. Au fond, ils ont l’air gentil.

Même Fernanda, Elizabeth et Daniela, d’autres filles du foyer, rigolent avec eux, et ont le droit de colorer un bout du mur !

J’aimerais tant peindre au soleil moi aussi ! En secret, j’ai demandé à tia Marie-Lys, mais comme je gigote, je saute et je bouge tout le temps, elle a peur que je ne sois pas appliquée.

Moi, je vais lui montrer qui est la vraie Tamara !

Pendant plus d’une heure, j’ai pu peindre les fleurs de la marelle sans jamais dépasser : douce, concentrée, sans parler… j’ai lâché mon masque et je lui ai enfin dévoilé une partie de moi-même.

Et sans que personne s’en aperçoive, j’ai même trouvé mon petit rôle : faire le facteur pour aller chercher un pot de couleur, la craie, ou laver les pinceaux des grandes qui ne voulaient pas faire d’effort. Quel bonheur ! ».